Mini rétroactivité fiscale, maxi augmentations ?

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Patrimoine 18/07/2024

Mini rétroactivité fiscale, maxi augmentations ?

ODDO BHF3 Minutes

Les règles fiscales pour les revenus de 2024 seront définies à l'automne, quelles incidences ?

En définissant les taux d'imposition applicables en cours d'année, le législateur peut bouleverser les anticipations du contribuable.

La mini rétroactivité fiscale, ou la rétrospectivité en novlangue administrative, a été définie dans les termes suivants par un grand juriste, Maurice Cozian : « Jouez d'abord, on vous donnera les règles du jeu à la fin de la partie ! ». 

Au centre de l'attention des contribuables depuis les élections législatives, ce phénomène découle du vote par le Parlement de la loi de Finances en fin d'année. Ce texte prévoit les règles d'imposition des revenus de l'année en cours. Rétroactivité, inconstitutionnalité direz-vous ? Il n'en est rien. 

Rétroactivité

Formellement, la petite rétroactivité de la loi fiscale est un ressenti. Elle émane de la définition du fait générateur de l'impôt qui ne correspond pas à la date d'encaissement des revenus mais au 31 décembre de l'année de perception. Dès lors, la modification des textes fiscaux à l'occasion de la loi de finances à l'automne ne conduit pas à une application rétroactive d'un texte puisque le revenu est réputé encaissé après l'adoption de la loi, le 31 décembre. Le tour est joué !

La mise en place du prélèvement à la source et la retenue de la flat tax (30%) dès la distribution des dividendes laissent penser que la temporalité du revenu et celle de l'impôt sont parfaitement alignées. Or, ces prélèvements sont des acomptes non libératoires, leur montant définitif est ajusté à l'occasion de la déclaration d'impôt. Ainsi, les revenus encaissés en 2024 subissent une avance sur l'impôt définitif qui sera défini par le Parlement à l'automne 2024. Le contribuable souscrit sa déclaration au printemps 2025. Il reçoit ensuite son avis d'imposition fixant le montant définitif de l'impôt, un remboursement ou un complément de paiement peut avoir lieu.  

L'imposition des revenus et des gains est concernée par la mini-rétroactivité : revenus, dividendes, intérêts, plus-values… Dès lors, un esprit avisé attendra la fin de l'année et le vote de la loi de Finances pour procéder à une distribution importante. Quant aux donations, le fait générateur coïncide avec la date d'enregistrement de l'acte, une modification de son imposition ne peut survenir d'une loi ultérieure.

Légitimement, le contribuable peut s'interroger sur la légalité de la rétrospectivité fiscale. Le Code civil prévoit à l'article 2 que « La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif. ». Tout juriste en herbe en comprend la limite : ce qu'une loi fait, une autre peut la défaire. Par conséquent, dans la hiérarchie des normes, seules une convention internationale ou la Constitution peuvent protéger le contribuable des humeurs du Parlement. 

Inconstitutionnalité

Le Juge constitutionnel ou le Juge européen assurent que les lois respectent les normes constitutionnelles ou conventionnelles.

Le Conseil Constitutionnel relève qu'aucun élément du bloc de constitutionnalité ne s'oppose à la rétroactivité de la norme fiscale à l'exception de la loi pénale. D'ailleurs, nous venons de le voir, la petite rétroactivité n'est pas un mécanisme rétroactif puisque la loi est votée avant le fait générateur de l'impôt. 

En matière de petite rétroactivité, le seul critère pertinent pour le Conseil Constitutionnel est l'atteinte aux situations légalement acquises. Autrement dit, des modifications qui interviennent avant le fait générateur de l'impôt peuvent, si elles portent atteinte à un droit acquis, être contestables au regard des exigences constitutionnelles. Le Conseil a pu le juger à l'occasion de décisions du 29 décembre 2012, à la suite de la loi de Finances pour 2013 votée après l'élection de F. Hollande. 

A titre d'exemple, la remise en cause du prélèvement forfaitaire libératoire sur les dividendes en 2012 par la loi de Finances avait été censurée par le Conseil. Il s'agissait en effet d'un prélèvement libératoire, toute modification ultérieure de la loi avait un effet rétroactif portant atteinte à une situation légalement acquise. Ce ne serait pas le cas avec la flat tax actuelle qui est un prélèvement forfaitaire non libératoire.

Le Conseil peut valider des mesures exceptionnelles et limitées dans le temps, ce fut le cas avec la contribution exceptionnelle sur la Fortune en 2012, instaurée sous la présidence Hollande, elle se cumulait avec l'ISF de l'année et n'était pas plafonnée. 

De son côté, le Juge européen porte une attention particulière à la sécurité juridique, et à sa variante, la confiance légitime. Le Conseil d'Etat a eu l'occasion de s'appuyer sur ces principes pour invalider l'échéance prématurée d'un crédit d'impôt prévu originellement pour trois ans. Si des protections existent face la petite rétroactivité et à la sécurité juridique, elles ne sont ni totales ni systématiques.  



En matière de fiscalité, la stabilité et la prévisibilité sont aussi importantes que les taux ou la définition de l'assiette. L'effet sur les comportements microéconomiques le démontre. Faut-il pour autant condamner formellement la petite rétroactivité de la norme fiscale ? 
Non, elle favorise la réactivité de l'action publique en mobilisant le levier fiscal dans des situations d'urgence. Nous pouvons appeler de nos vœux son encadrement, à l'instar de la loi pénale, le législateur pourrait s'imposer d'user de ce mécanisme uniquement avec un effet plus favorable au contribuable.

 

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Alexandre Feuilleuse
Ingénieur Patrimonial
Rédigé le 18 juillet 2024

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