Imposition de la grande transmission : les piliers de l'impôt

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Patrimoine 23/01/2025

Imposition de la grande transmission : les piliers de l'impôt

ODDO BHF6 Minutes

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Jérôme Chigard
Directeur de l'Ingénierie Patrimoniale - ODDO BHF Banque Privée

Le 9 janvier, le Journal Les Echos publiait une tribune signée par un collectif de 115 entrepreneurs soutenant une proposition de la fondation Jean Jaurès visant une réforme de l'imposition française des transmissions pour les patrimoines les plus élevés.

L'article intitulé : « Taxer nos successions ! Plus de 100 entrepreneurs prennent position » a suscité notre curiosité tant il est vrai que l'écrasante majorité des entrepreneurs que nous rencontrons ne manifeste pas un engouement à voir la fiscalité amputer massivement leur patrimoine. Si l'on ajoute que la France est l'un des pays européens où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés, tout plaidoyer pour une augmentation nous semble suspecte. Non pas que l'idée de payer plus ne puisse être justifiée à défaut d'être juste mais encore faut-il savoir pourquoi.

Le constat de la Fondation Jean Jaurès :

Au cours des quinze prochaines années : « la France connaîtra le plus grand transfert de richesses de son histoire contemporaine avec plus de 9 000 milliards d'euros de patrimoine détenus par les Français les plus âgés, transmis à leurs enfants ». Ce mouvement est dénommé par les auteurs : « Grande transmission ». Ceux-ci ajoutent toutefois que ce phénomène présente un caractère extrêmement inégalitaire, dans la mesure où 10% des ménages détiennent aujourd'hui 55% du patrimoine total des Français. Toujours selon eux, si rien n'est fait une société dans laquelle le poids des dynasties patrimoniales l'emporterait sur les résultats de l'effort et du travail (SIC) deviendrait inéluctable ! 

Les rédacteurs proposent donc de saisir « la chance » de la grande transmission pour « l'orienter » (i.e. la taxer) et financer la transition écologique, la recherche et l'éducation. Pour en faire « un acte de solidarité » entre générations ! Il faudrait une sacrée dose d'égoïsme pour ne pas adhérer à une telle proposition. Et pour annihiler toute critique de poursuivre : « ce pacte de la Nation avec elle-même, préserverait les transmissions pour 99% des français, mais mettrait davantage à contribution les très grandes transmissions du top 1% ».  La mise en place de l'impôt sur les grandes successions (IGS) reposerait sur trois piliers interdépendants :

Pilier 1 : une refonte de l'assiette des droits de succession et l'instauration d'un barème plus progressif ;
Pilier 2 : une application du prélèvement forfaitaire unique sur les plus-values latentes pour les transmissions du top 1% ;
Pilier 3 : une modernisation afin de faciliter les transmissions au cours de la vie.

La simulation effectuée estime à 400 milliards sur la période 2025 - 2040 ce que rapporterait l'IGS, soit 12,5% de la dette de la France à ce jour !

Une première observation concerne l'impossibilité de garantir aux contribuables et notamment ceux concernés que le contrat sera respecté. S'agissant d'une imposition qui ne peut être affectée à une dépense particulière ces nouvelles impositions pourront être utilisées à tout autre chose. Le Pacte de la Nation avec elle-même ne peut donc être garanti ! C'est la première faiblesse de la proposition. 

La seconde faiblesse de la proposition consiste à concevoir un dispositif, l'IGS, ciblé sur 1% des contribuables. Le rendement d'un impôt est assuré dès lors que la base est large et le taux est faible et c'est exactement l'inverse qui est proposé alors même que les auteurs soulignent cette corrélation. Ils parient, études étrangères à l'appui, qu'une telle option n'aurait pas d'impact sur les délocalisations. 400 milliards dont 19 rien que pour l'année 2025 sur 1% des contribuables et aucune réaction ? On peut être circonspect.

En quoi consiste précisément ces trois « piliers » indissociables ?

Le premier consiste à proposer de soumettre l'ensemble des actifs à un barème progressif revisité. Comme d'habitude par « ensemble des actifs » il faut principalement comprendre « assurance vie » incluse tant il est vrai que le régime de faveur, en réalité déjà limité, irrite.  A tords, puisqu'en plus de l'impôt, les prélèvements sociaux s'appliquent aussi en cas de décès y compris sur la franchise de 152 500€. Franchise qui depuis 1999 n'a jamais été actualisée en fonction de l'inflation !

Encore plus contestable, il serait mis fin en cas de démembrement à la taxation sur la valeur du seul droit de nue-propriété transmis. Comme nous avons déjà eu l'occasion de le commenter, il s'agit ni plus ni moins que de mettre en place une double imposition des fruits produits par un bien, une fois lors de la transmission de la nue-propriété et une nouvelle fois à l'extinction de l'usufruit. 

Cependant et pour le coup de manière assez étrange, le dispositif Dutreil pourrait subsister mais avec un resserrement et une préservation allant jusqu'aux ETI.  L'idée serait un abattement dégressif en fonction de la valeur de l'entreprise. Au-delà d'une certaine valeur, il n'y aurait plus d'exonération partielle. Avec un taux d'imposition de 50% la question de la pérennité des entreprises exclues reviendrait immédiatement. 

Second volet du pilier 1 : le barème. Les auteurs nous proposent de considérer celui présenté par le Conseil d'Analyse Economique en 2021 qui conserve les cinq premiers taux du barème en ligne directe actuel de 5% à 45% et ajoute un taux à 50%. En revanche les tranches sont significativement relevées, du moins en apparence, car corrélativement il convient de comprendre que la règle du non-rappel fiscal des donations de plus de 15 ans serait abandonnée.  Difficile de croire que seul le « top 1% » serait victime du nouveau régime des droits de mutation à titre gratuit !

Le deuxième « pilier » consisterait à taxer les plus-values latentes. Il s'agirait de mettre fin à l'effacement des gains latents sur titres au moment de la transmission en leur appliquant le prélèvement forfaitaire unique (PFU). Il est toutefois précisé que cette imposition transmise aux donataires serait reportée à la cession des titres reçus mais en tout état de cause pas au-delà d'une seconde mutation à titre gratuit. En France, le concept de plus-value repose sur l'enrichissement du contribuable depuis l'entrée d'un bien dans son patrimoine jusqu'à sa cession à titre onéreux. La transmission à titre gratuit étant un appauvrissement du donateur celui-ci n'est pas imposable à raison de la plus-value latente des biens donnés. Corrélativement, les mutations sont fortement taxées et les droits de succession sont dus par l'héritier ou le donataire. Proposer qu'une transmission à titre gratuit soit génératrice de plus-value au taux de 34% CEHR (contribution exceptionnelle sur les hauts revenus) comprise ; voire 37,2 % avec la contribution différentielle et de droit de mutation au taux de 50% comme proposé, engendrerait une imposition de l'ordre de 65% pour le top 1% selon l'hypothèse moyenne retenue par les auteurs avec des cas d'espèce pouvant aller jusqu'à 87,2%.  Le cynisme de cette proposition c'est que vous êtes la plupart du temps contraint de vendre pour financer les droits de donation et donc vous seriez sanctionné par la déchéance du report d'imposition quasiment immédiatement. Un différé en trompe-l'œil en quelque sorte. 

Si enfin on tient compte d'une mobilité internationale plus aisée pour les propriétaires des actifs financiers gageons que l'hypothèse d'un faible taux de départ est un pari à hauts risques.
Les comparaisons internationales proposées sont aussi en trompe-l'œil dans la mesure où peu de pays à l'instar de la France cumulent des droits de mutation élevés avec une imposition des plus-values élevées. Mais au pays de la gastronomie, c'est fromage et désert !

Assez curieusement les fortunes immobilières qui certes supportent l'Impôt sur la fortune immobilière (IFI) ne seraient, elles pas concernées par l'imposition des plus-values latente.

A l'heure où sonne le clairon de la réindustrialisation, ce pilier 2 compte tenu de sa philosophie aux antipodes de nos principes de taxation des gains ne nous parait pas de nature à encourager des entrepreneurs à s'établir en France. C'est, il nous semble, une ligne rouge qui serait une fois de plus franchie en rupture complète avec nos textes constitutionnels qui protègent encore la propriété privée contre les impositions excessives.

Le troisième et dernier « pilier » reprend les pistes de réflexion proposées par le rapport Tirole-Blanchard que nous vous avions présentées à savoir une taxation du flux successoral, c'est-à-dire tout ce qu'un individu reçoit tout au long de sa vie, quelle que soit la personne qui le lui transmet avec un barème d'imposition unique indépendant du lien de parenté.

La proposition dans son principe nous était apparue tout à fait intéressante pour peu que le barème soit acceptable c'est-à-dire très progressif et avec un taux marginal raisonnable ce qui ne nous semble pas être le cas d'une imposition extrême à 50%.

S'il faut sauver le monde comme le propose la Fondation est-ce que l'impôt est LA solution incontestable dans un pays surendetté dont la priorité reste la croissance de la dépense sociale ? Nous sommes assez réservés. Rien dans ces propositions ne garantit le pacte qui serait sensé être le fondement de cette orientation.

Quant aux signataires de la tribune nous pourrions signaler que nous connaissons des entrepreneurs de plus en plus nombreux qui apportent toute ou partie de leur fortune à des fondations, des fonds de dotation, des fonds de pérennité pour dès aujourd'hui financer la transition énergétique et sociétale qui en découle sans proposer d'attendre leur succession…

Qui a raison ?  

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