Bruno Cavalier – Chef économiste ODDO BHF
POINTS CLÉS :
"Le nez de Cléopâtre s’il eût été plus court toute la face de la terre aurait changé". Cette pensée de Blaise Pascal rappelle à tout un chacun combien de petits faits peuvent avoir de grandes conséquences.
Le 13 juillet, si la balle visant Donald Trump avait dévié de quelques millimètres, elle aurait fait exploser son crâne plutôt que d’écorcher son oreille. Il ne serait pas aujourd’hui vu comme une sorte de miraculé et, par suite, comme le grandissime favori pour gagner l’élection présidentielle américaine. Le 9 juin, si Emmanuel Macron s’était accordé une bonne nuit de sommeil pour digérer sa défaite aux élections européennes, peut-être n’aurait-il pas pris la décision aventureuse de dissoudre l’Assemblée, ce qui a eu pour effet de plonger la France dans un chaos politique comme elle n’en a pas connu depuis des décennies.
Vers un second mandat de Donald Trump
Il y a quelques semaines, il était admis que le résultat de l’élection présidentielle du 5 novembre se jouerait à quelques milliers de voix dans une poignée d’états-pivots. Donald Trump, empêtré dans diverses affaires judiciaires, semblait avoir un léger avantage dans les intentions de vote mais rien qui ne soit décisif.
Deux événements récents ont changé cette perspective.
Le 27 juin, un débat TV entre les candidats a montré que Joe Biden avait d’évidentes faiblesses physiques et cognitives. Le déni du camp démocrate à ce sujet n’était plus tenable . Plusieurs donateurs ont alors appelé ouvertement Joe Biden à retirer sa candidature. Les pressions en ce sens allaient bon train quand un second événement est survenu. Le 13 juillet, Donald Trump a échappé de justesse à une tentative d’assassinat. Pouvait-on imaginer plus fort contraste entre un président en exercice ayant des problèmes pour se déplacer et pour s’exprimer et son adversaire qui, quoique blessé, montrait sa combativité !
Aucune élection n’est jamais jouée tant que le vote n’a pas eu lieu. Certes. On ne peut nier toutefois que Donald Trump a désormais de meilleures chances de victoire. Tout d’abord, il a reçu le soutien financier de grandes fortunes, dont Elon Musk. Ensuite, il est plus difficile pour le camp adverse de le présenter comme une menace alors qu’il vient d’être la victime d’un attentat. Enfin, cet événement, en atténuant la pression pour un renoncement de Joe Biden, réduit les chances des Démocrates de se relancer avec un nouveau candidat.
Dans ces conditions, il faut considérer avec attention ce que pourraient être les grandes priorités d’un second mandat de Donald Trump. On ne peut ici juger que les intentions affichées de l’ancien président, tout en sachant qu’entre un plan et son application beaucoup de facteurs peuvent interférer. Arrêtons-nous à deux sujets essentiels : les relations internationales et l’économie.
En géopolitique, la répercussion la plus directe d’une victoire de Donald Trump toucherait l’Ukraine. L’ancien président souhaite une solution de paix. En pratique, ce ne pourrait être qu’une sorte de partition du pays au profit de la Russie. Son colistier le sénateur Vance est encore plus explicite dans sa volonté de stopper tout soutien militaire américain à l’Ukraine et d’encourager l’isolationnisme des Etats-Unis. Il est peu probable que les pays européens puissent ou même veuillent compenser totalement le retrait des Etats-Unis. Simultanément, on peut s’attendre à ce que Donald Trump affiche une grande fermeté à l’égard de la Chine. Après tout, on doit lui reconnaître d’avoir été le premier à remettre en question les bienfaits de l’entrée de la Chine dans l’Organisation Mondiale du Commerce. La guerre tarifaire qu’il a menée durant son premier mandat n’a pas rééquilibré les échanges avec la Chine comme il le souhaitait mais a ouvert les yeux de beaucoup sur les entorses de la Chine au jeu de la concurrence libre et non-faussée. Par d’autres moyens, tels que des restrictions d’accès à la technologie, Joe Biden n'a fait que renforcer la politique antichinoise des Etats-Unis.
En économie, la devise « Make America Great Again » reste d’actualité. Si l’on en juge par l’action menée lors de son premier mandat, Donald Trump considère que la puissance économique repose d’une part sur des baisses d’impôt (stimulation de la demande) et d’autre part sur l’augmentation des droits de douane (restriction de la concurrence étrangère). En 2025, les marges de manœuvre budgétaire seront plus étroites qu’elles n’étaient en 2017, mais on doute que cela empêche Trump de renoncer à une politique budgétaire expansionniste. Par ailleurs, sa volonté de taxer les importations ne se limite plus à la Chine et à quelques métaux industriels mais porterait, à en croire certains de ses conseillers, sur l’ensemble des échanges avec le reste du monde. Comme les droits de douane retombent souvent sur le consommateur final et causent de l’inflation, il y a sans doute matière à faire des compromis. En attendant, pour l’Europe, et surtout pour l’Allemagne, le protectionnisme américain a de quoi peser sur les perspectives économiques, surtout si dans le même temps, la Chine se ferme aussi.
Une France ingouvernable
En un mois, les Français ont voté trois fois. Aux élections européennes du 9 juin, ils ont massivement rejeté le parti d’Emmanuel Macron au profit du Rassemblement national (RN). Cela a conduit le président à dissoudre l’Assemblée et provoquer des élections législatives anticipées. Au premier tour de ces élections le 30 juin, les Français ont confirmé leur choix avec, de nouveau, une large avance du RN. Au second tour le 7 juillet, les désistements entre partis ont privé le RN d’une victoire écrasante, sans pour autant désigner un autre vainqueur. L’Assemblée nationale est désormais divisée entre trois blocs minoritaires (la gauche, le centre, le RN), plus quelques groupes politiques plus petits.
Aucun camp ne peut prétendre avoir une majorité absolue. Le prochain gouvernement, quel qu’il soit, devra donc surtout s’efforcer de ne pas causer l’union de ceux qui s’opposent à lui, ce qui amènerait une motion de censure. Emmanuel Macron voulait clarifier la situation politique. Il n’a fait que la rendre plus complexe et plus instable. C’est une situation totalement inédite depuis que la Cinquième République a été fondée en 1958. Pour éviter l’instabilité politique, le prochain gouvernement pourrait être contraint à l’immobilité économique.
Quelles sont les conséquences de cette situation ?
Tout d’abord, l’indécision quant à la formation d’un nouveau gouvernement ne peut qu’entraîner de l’attentisme de la part des agents économiques. La stabilité fiscale n’est pas du tout assurée. Certaines décisions d’investissement sont en suspens en attendant de savoir si les impôts vont augmenter. Plusieurs fédérations d’entreprises en rendent compte.
Ensuite, le risque d’instabilité politique arrive au pire moment de l’année, c’est-à-dire à l’approche du débat budgétaire annuel. Au milieu de l’été, le projet de budget est normalement prêt à quelques détails près, avant d’être présenté officiellement en septembre et débattu par l’Assemblée à partir d’octobre. Des ajustements seront nécessaires cette année lorsque la coloration politique du gouvernement sera connue. Cette incertitude budgétaire intervient alors que la France est sous une procédure pour déficit excessif de la Commission européenne et que les agences de notations surveillent tout manquement par rapport aux objectifs de réduction des déficits. La prime de risque française a vivement monté après l’annonce de la dissolution, avant de refluer, mais elle n’est pas revenue à son point de départ (graphe). Le risque est grand que cette prime de risque se tende si le débat budgétaire se révèle infructueux ou retardé.
Enfin, le risque politique français a des répercussions négatives pour le reste de l’Europe. Il n’est pas bon que l’une des grandes économies de la zone se trouve ainsi affaiblie. L’impact peut se ressentir via le canal des échanges (baisse de la demande adressée aux autres pays) et via le canal financier (effet de contagion). De plus, l’absence de repères politiques stables en France doit causer des hésitations dans les pays voisins, et d’abord en Allemagne. Ce n’est pas le contexte idéal pour encourager les initiatives visant à redonner du poids à l’Europe dans la compétition internationale.
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