Laurent Denize – Global Co-CIO ODDO BHF
Il arrive parfois que le cours de l’histoire bascule en un clin d’œil. Suivre ces changements soudains n’est pas chose aisée pour les observateurs, ni, d’ailleurs, pour les investisseurs. Un coup d’œil rapide sur les niveaux des indices à la fin du mois de février suffit pour constater un revirement à 180° du sentiment de marché, survenu peu après l’investiture de Donald Trump. Alors que la domination des États-Unis sur les marchés de capitaux était incontestée (et incontestable) en début d’année, les premières mesures Trump ont fait souffler un vent de changement plus fort qu’anticipé. Les actions américaines, les cryptomonnaies et le dollar ont subi des pressions à la baisse, tandis que les bons du Trésor américain se sont envolés, entraînant une baisse marquée des rendements. Ce revirement contraste fortement avec la réaction initiale des marchés après la victoire de Trump, qui reposait sur l’idée que la nouvelle administration aurait un effet positif sur la croissance américaine, l’inflation, le prix des actions, les rendements obligataires, le dollar et les cryptos. À l’inverse, les actions européennes, jusque-là délaissées, ont bondi, tout comme les actions chinoises, portées par le succès de DeepSeek, ou encore le secteur financier et l’or. En Europe, les investisseurs se sont d’abord concentrés sur les grandes capitalisations. Cependant, l’expansion rapide des multiples (ratio P/E à 12 mois proche de 15x), les fortes révisions à la hausse des bénéfices par action attendus pour 2025 et 2026, ainsi que le regain d’intérêt des investisseurs européens pour leur propre marché (+12 milliards d’euros de flux nets vers les fonds européens hors Royaume-Uni en février, dynamique la plus forte enregistrée depuis janvier 2022) laissent penser que cet élan positif pourrait s’étendre aux autres tailles de capitalisation, en particulier les Moyennes Capitalisations Européennes.
États-Unis : Un « Exceptionnalisme » remis en cause
Le retournement de marché a été provoqué par une réalité pour le moment bien éloignée des espoirs fiscaux(réduction de l'impôt sur les sociétés de 21 % à 15 %), et de dérégulation suscités par la réélection de Donald Trump. Parallèlement, des politiques moins favorables aux marchés (droits de douane, immigration et création du Department of Government Efficiency d’Elon Musk) ont ébranlé la confiance des investisseurs. Cependant, l’indifférence de l’administration face à la réaction brutale des marchés financiers montre qu’elle est résolue à imposer son agenda « America First » malgré l’opposition que cette approche suscite. La tolérance du président américain à l’égard de l’instabilité des marchés semble bien plus élevée que lors de son premier mandat. Ainsi, si l’on croyait encore en un « Trump put » (une intervention politique pour soutenir les marchés en cas de chute), il est désormais bien moins évident que ce qu’anticipait le consensus. La remise en question de cette politique, qui nuit à long terme aux intérêts américains, pourrait néanmoins intervenir si ses effets négatifs se font sentir sur l’économie réelle (par opposition à de simples turbulences sur les marchés financiers). Cette incertitude est d’autant plus forte que les craintes d’une récession augmentent à mesure que les indicateurs avancés se dégradent. Cela complique davantage le climat d’investissement, au risque d’impacter les entreprises et la consommation. Par ailleurs, nous avons martelé à plusieurs reprises ces derniers mois que l’évolution du secteur de l’Intelligence Artificielle était au cœur de la notion « d’exceptionnalisme » américain. Or l’annonce d’un nouveau modèle d’IA en Chine baptisé Manus, après l’arrivée de DeepSeek en janvier, soulève de nouvelles questions sur l’avance des États-Unis en matière d’Intelligence Artificielle. Les montants gigantesques d’investissement déployés pour l’Intelligence Artificielle, couplés aux doutes sur leur monétisation et le retour sur capitaux investis font en effet douter les investisseurs de l’avantage compétitif américain sur cette thématique. Enfin, avec des valorisations à des niveaux records, les « Magnificent-7 » ont perdu une partie de leur éclat. Sommes-nous proches du rebond pour ces « Lag-nificent 7 » ? Potentiellement oui, pour certaines d’entre elles, si leurs valorisations atteignent des niveaux raisonnables et si la dynamique des bénéfices par action (EPS) reste intacte. Qu’en est-il des Petites Capitalisations ? Leur rattrapage n’aura lieu que si plusieurs conditions sont réunies : une baisse de l’impôt sur les sociétés conformément à la promesse de campagne, un maintien des taux longs à des niveaux soutenables et une absence d’affaissement du marché du crédit, une bonne tenue de la croissance et de la consommation des ménages, et enfin une politique industrielle qui privilégie la préférence nationale.
Europe : Poursuite du rebond
Alors que les États-Unis ont déçu les investisseurs, l’Europe est en train de revenir sur le devant de la scène. Nous pouvons remercier Donald Trump pour cela. Sa rupture avec le concept de partenariat transatlantique, illustrée de manière flagrante par sa nouvelle approche vis-à-vis de la Russie et de l’Ukraine, contraint les pays européens à organiser leur sécurité de manière plus indépendante. Après des années d’inertie, les États européens (y compris le Royaume-Uni, qui recentre son attention sur l’Europe) ont pris la mesure de la situation et réagi rapidement. En Allemagne, la coalition élargie a présenté, avant même la formation du nouveau gouvernement, d’importants programmes de dépenses pour la défense (exemption à la règle du frein à l’endettement pour les dépenses militaires supérieures à 1 % du PIB), les infrastructures et le climat (500 milliards d’euros sur 12 ans, soit 11 à 12 % du PIB allemand + hausse des dépenses fédérales pour relever le plafond d’emprunt net de 0 % à 0,35 % du PIB). Les marchés ont immédiatement salué ces annonces, entraînant une forte hausse des valeurs de la défense et de la construction. Toutefois, la justification réelle de ce rebond ne pourra être confirmé qu’une fois ce bazooka budgétaire approuvé par le Bundestag et le Bundesrat. L’Union Européenne ouvre également les vannes budgétaires, facilitant l’endettement des États membres pour les dépenses de défense (clause dérogatoire pour les dépenses de défense à hauteur de 650 milliards d’euros sur 4 ans + emprunt européen pouvant atteindre 150 milliards d’euros). Plusieurs autres facteurs suggèrent que le retour de l’Europe dans les portefeuilles pourrait durer plus longtemps que cet élan de court terme. Alors que l’économie américaine ralentit, l’Europe montre des signes de reprise, malgré les vents contraires venus des États-Unis. Un possible cessez-le-feu en Ukraine pourrait également stimuler la reprise économique, avec plus de 300 milliards d’euros d’investissements nécessaires pour reconstruire les villes détruites, ainsi qu’une baisse des prix de l’énergie (actuellement quatre fois plus élevés pour les entreprises allemandes que pour leurs homologues américaines). Un élément clé pour l’Europe sera de réussir à éviter une guerre commerciale avec les États-Unis. À cet égard, l’achat de gaz naturel liquéfié américain et l’augmentation massive des dépenses de défense pourraient faciliter les négociations. Nous maintenons notre vue positive sur les Moyennes Capitalisations Européennes et les entreprises à dividendes élevés. L’Allemagne reste notre principale conviction, en raison de sa forte exposition aux différents plans de relance. Nous privilégions l’indice MDAX. Nous recommandons également un positionnement sur les actions européennes de style « Value », moins dépendantes des exportations et fortement exposées sectoriellement à l’augmentation des dépenses d’infrastructure. Compte tenu de la volatilité des marchés, il est essentiel de faire preuve d’agilité dans les choix sectoriels. Les perspectives sont favorables pour les banques, à condition qu’elles maintiennent un rendement sur fonds propres élevé dans un environnement de taux d’intérêt favorable. Les valeurs de la défense et de la construction devraient bénéficier des différents plans de relance. Dans le secteur Technologique, les Logiciels sont les mieux placées pour profiter de la baisse des coûts de l’IA. Dans le secteur de la chimie, une hausse des volumes de production est attendue, ce qui devrait fortement bénéficier au secteur.
Chine : Le nouveau paradis ?
La Chine pourrait bien surprendre une nouvelle fois cette année. La confirmation par le Congrès national du peuple d’un objectif ambitieux de croissance de 5 % en 2025 envoie un signal fort : les décideurs politiques sont prêts à soutenir la croissance économique et, par extension, la consommation intérieure. Pour atteindre cet objectif, le gouvernement a décidé d’adopter une politique budgétaire nettement plus expansionniste que l’an dernier. Le déficit budgétaire officiel a été fixé à 4,0 % du PIB attendu, un niveau record. Les quotas d’émission d’obligations spéciales des gouvernements locaux et d’obligations spéciales du Trésor "ultra-longues" ont été relevés respectivement à 4 400 milliards de RMB et 1 300 milliards de RMB (contre 3 900 milliards et 1 000 milliards l’an dernier). Par ailleurs, 500 milliards de RMB de bons du Trésor spéciaux seront alloués à la recapitalisation des grandes banques commerciales publiques. La Chine a également moins à craindre d’une guerre commerciale que l’Europe, car elle a renforcé ses propres technologies et diversifié ses exportations vers les pays du Sud. Après avoir été longtemps freinées par la régulation, les entreprises technologiques reviennent sur le devant de la scène, comme l’a clairement montré la réunion récente entre Xi Jinping et les cinq plus grands patrons du secteur. Les nouvelles stars de la tech sont donc très probablement chinoises, et le fait que des entreprises comme Alibaba, Tencent ou BYD restent sous-valorisées par rapport à leurs homologues américaines, malgré leur performance stratosphérique depuis le début de l’année, crée des opportunités pour les investisseurs qui cherchent à s’exposer au marché chinois. L’émergence des « Magnificent-7 chinoises » (« Terrific 7 ? », « 7 Titans ? », « 7 Dragons ? ») se profile.
Taux et Crédit : Privilégier les durations courtes
Le risque d’inflation devrait augmenter à long terme en raison de la politique douanière de Donald Trump. Par conséquent, il convient d’éviter un positionnement sur des durations trop longues aux États-Unis. En Europe, la forte hausse récente des taux longs pourrait faire penser que le marché obligataire intègre désormais correctement les perspectives d’une croissance plus forte dans la zone euro et l’augmentation à venir des émissions obligataires pour financer les dépenses en défense et en infrastructure. Cependant, avec l’Allemagne qui adopte un stimulus budgétaire massif et durable, il existe une forte probabilité que son économie redémarre, entraînant une reflation en zone euro. Ce scénario laisse une marge significative pour une poursuite de la hausse des rendements obligataires dans les mois à venir. Concernant le crédit, nous recommandons une sous-pondération. En relatif, nous restons positifs sur le crédit Investment Grade, car même si les spreads sont resserrés, les rendements absolus restent attractifs, comparativement à ceux observés sur le marché monétaire. À l’inverse, le High Yield n’offre pas une compensation suffisante pour les incertitudes accrues, la volatilité des marchés, les risques de guerre commerciale, et surtout les craintes de ralentissement économique aux États-Unis. En revanche, le High Yield à duration courte devrait continuer à bénéficier de rendements attractifs pour un niveau de risque moindre.
Conclusion : Dans quel sens souffle le vent de changement ?
L’imprévisibilité est devenue la marque de fabrique de Donald Trump, et la volatilité sera une constante de sa présidence. Le régime de marché dans lequel nous évoluions fin 2024 a été complètement bouleversé, en un laps de temps extrêmement court. Le vent de changement que nous attendions aux États-Unis, prometteur et porteur d’espoir, s’est finalement révélé froid, violent et rafaleux. La bonne nouvelle ? La direction du vent peut aussi changer brusquement – mais cette fois de manière positive – vers d’autres régions comme l’Europe et la Chine. C’est là que brille le marché en ce moment.
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