Vive l’Europe !

Patrimoine
04.20.2023
3 Minutes

S’il y a bien un domaine où l’Union Européenne se hâte lentement c’est celui de l’harmonisation de la fiscalité des particuliers et une récente réponse au nom du Ministre français de l’Economie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique nous en dit long sur l’état d’esprit qui anime notre haute administration fiscale. 

Interrogé par un député sur les perspectives en matière de doubles impositions susceptibles de se produire en matière de succession entre la France et la Suisse, le Ministre a sèchement répondu que la France qui a contracté peu de conventions en matière de succession ne souhaite plus en conclure d’autres…

Or force est de constater que sur les vingt-sept pays membres de l’Union Européenne, seuls huit ont signé une convention couvrant les successions et cinq d’entre eux disposent d’une convention traitant des donations. Comment expliquer qu’une Union qui retient comme principe fondateur la liberté de circulation des personnes et des biens depuis plus de soixante ans ne se soit pas dotée d’un cadre fiscal en matière de taxation des successions et des donations ?

Comme nous l’avons vu dans une précédente Lettre Patrimoniale (6 janvier 2023 : La lutte contre la fraude fiscale est-elle compatible avec la protection des données personnelles ?), sur le plan fiscal, quand il s’agit de porter atteinte aux libertés individuelles de tous au nom de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale de certains, les institutions européennes déploient une activité compulsive. Or on ne note aucune initiative dans l’intérêt de tous concernant le règlement des doubles impositions en matière de transmissions. Il y a bien eu, sur le plan civil, un règlement européen entré en vigueur en 2015 sur les successions transfrontalières, que nous vous avons présenté à l’époque, et dont l’objet est de régler la loi successorale applicable ainsi que le juge en charge de son exécution, mais rien sur le plan fiscal.  Si ce règlement est indéniablement une avancée, sans volet fiscal c’est la moitié du problème qui est traité !

On peut donc s’étonner que le Ministre d’un des principaux pays acteur de la construction européenne déclare sans retenue que l’on ne doit nourrir aucun espoir quant à une amélioration de la situation qui devient pourtant, année après année, plus préjudiciable à un nombre croissant d’Européens. On recense, pas moins de 450 000 héritages transnationaux au niveau européen.

A décharge, la question du député ne portait pas sur la situation à l’intérieure de l’Union mais sur les relations franco-suisses qui, il faut bien le dire, sont dues à notre voisin qui a refusé en 2014 la signature d’un nouvel accord ce qui a eu comme conséquence la résiliation par la France de la convention de 1953. Comme l’indique la réponse, c’est désormais la législation française de droit commun qui s’applique. Elle prévoit la taxation en France de tous les biens meubles et immeubles situés en France et à l’étranger lorsque le défunt avait son domicile fiscal en France et la taxation des seuls biens « français » lorsque le défunt était non-résident et qu’ils sont transmis au profit d’un autre non-résident. Enfin, sont taxables en France les biens meubles et immeubles situés en France et à l’étranger lorsque l’héritier ou le donataire a son domicile fiscal en France. Cette dernière hypothèse a été introduite dans notre droit il y a une vingtaine d’année et accroît considérablement les cas de double imposition. En parallèle, l’article 784 A du code général des impôts prévoit un tempérament en accordant un crédit d’impôt imputable sur l’impôt français mais seulement pour la part de l’impôt étranger acquitté sur des biens étrangers. Si, et à juste titre, le Ministre souligne qu’il serait injustifié que la France renonce à imposer des biens situés en France, il est tout aussi injustifié que la somme des impositions dues dans chacun des pays dépasse l’actif de succession. C’est d’ailleurs le sens d’une proposition de loi enregistrée le 14 février dernier à l’Assemblée nationale qui vise à « régler le problème de la double imposition des successions entre la France et n’importe quel Etat tiers ne disposant pas de convention fiscale en plafonnant le montant des droits en France à 70 % du montant total de la succession. 

Les Etats qu’ils soient français ou étrangers ont selon nous le devoir de limiter autant que faire se peut les doubles impositions. Et pour ce qui est de l’Union Européenne, une initiative des institutions compétentes serait un service minimum que l’on est en droit d’espérer pour tous les Européens.

Cependant comme le signifie notre Ministre, nous aurions tort d’y croire. Pierre Desproges aurait commenté : Europe, fiscalité et espoir, cherchez l’intru !

Jérôme Chigard
Directeur de l’Ingénierie Patrimoniale
Rédigé le 20 avril 2023

Author