L’Allemagne entre relance économique et guerre commerciale

Point marchés
04.15.2025
5 Minutes
    Prof. Dr. Jan Viebig
    Jan Viebig
    Chief Investment Officer of ODDO BHF Private Wealth Management & Group co-Chief Investment Officer

Portée par l’adoption d’un plan de relance historique prévoyant des investissements publics massifs, la Bourse allemande a récemment été ébranlée par l’incertitude liée aux droits de douane américains sur les importations. Depuis le début de l’année, le DAX avait progressé de plus de 13 pour cent, avant de chuter d’environ dix pour cent à l’ouverture des marchés le 7 avril, par suite de l’annonce d’une vague de tarifs douaniers décidée par Donald Trump.

D’une part, les espoirs justifiés d’une reprise conjoncturelle sont une lueur d’espoir pour l’économie allemande qui stagne. D’autre part, les risques externes – notamment la perspective de restrictions commerciales de plus en plus importantes au niveau mondial – pèsent sur les perspectives économiques.

Les droits de douane comme facteur de risque

L’annonce de tarifs douaniers américains sur les importations européennes met à rude épreuve l’économie allemande, très orientée vers l’exportation. En effet, la part des exportations de biens représente 36,1 pour cent du produit intérieur brut (PIB) allemand (source: Statistisches Bundesamt). L’Allemagne est ainsi bien plus exposée aux restrictions commerciales croissantes que d’autres grandes économies. À titre de comparaison : cette part est de 7,1 pour cent aux États-Unis et de 18,9 pour cent en Chine.

Graphique 1 : Exportations de biens en % du PIB

Source : National Bureau of Statistics of China, Statistisches Bundesamt, Commission européenne (AMECO)

La croissance économique de l’Allemagne repose actuellement de manière significative sur le libre-échange et des chaînes de création de valeur mondiales. La forte orientation à l’export est perçue comme un indicateur de la puissance économique et de la compétitivité des entreprises allemandes. Cependant, depuis que le gouvernement Trump a opté pour une politique douanière radicale, cette dépendance élevée aux exportations pèse sur la dynamique de croissance.

Les États-Unis, un partenaire commercial important

Avec une part de 10,4 pour cent dans le total des exportations allemandes de biens, les États-Unis représentent un partenaire commercial majeur pour l’Allemagne. En 2024, l’Allemagne a exporté vers les États-Unis pour environ 161,4 milliards d’euros. Rapporté à un produit intérieur brut (PIB) d’environ 4,3 billion d’euros, cela correspond à 3,7 pour cent du PIB allemand. Comparée à d’autres pays également touchés par les droits de douane américains, cette dépendance reste toutefois relativement gérable du point de vue macroéconomique. Des pays comme le Canada ou le Mexique dépendent bien davantage de la demande américaine que l’Allemagne.

Graphique 2 : Exportations vers les États-Unis en % du PIB

Source : Eurostat, Office allemand de la statistique

Le marché intérieur de l’UE comme facteur de stabilité

L’importance des pays de l’UE pour l’économie d’exportation allemande est bien plus grande. En effet, plus de 50 pour cent des exportations allemandes sont destinées à des partenaires au sein de l’UE. Le libre-échange à l’intérieur du marché européen est ainsi nettement plus déterminant pour l’Allemagne que le commerce avec les États-Unis. Dans la situation actuelle, cette étroite interdépendance économique au sein de l’UE renforce la stabilité du commerce extérieur allemand et permet de faire face aux incertitudes mondiales. Une intégration toujours plus étroite en Europe renforce la croissance et est plus que jamais nécessaire au vu de la politique douanière de Trump, profondément irrationnelle d’un point de vue économique.

La Chine pourrait supplanter les exportations allemandes

L’un des risques de la guerre commerciale américaine avec la Chine est toutefois un accroissement des exportations de marchandises en provenance de Chine vers l’Europe. Les droits de douane américains de plus de 100 pour cent sur les produits chinois pèsent sur les ventes de produits chinois aux États-Unis. A la recherche de nouveaux débouchés, la Chine a intensifié ses relations commerciales avec l’UE dès 2018, après l’introduction des droits de douane américains de 25 pour cent sur les produits chinois – au bénéfice de la balance commerciale chinoise.

L’économie allemande retrouvera la croissance en 2026

Le plan de relance allemand de 500 milliards d’euros, qui a été approuvé à la majorité des deux tiers sous forme de fonds spécial, pourrait contribuer à résorber le retard accumulé dans les investissements publics et entraîner un surcroît d’investissements privés. Selon plusieurs instituts de recherche et fédérations patronales allemandes, les besoins les plus urgents concernent les secteurs des transports, de l’éducation et de la protection du climat1. Oxford Economics a revu nettement à la hausse ses prévisions de croissance pour 2026 et 2027 après l’adoption du paquet financier historique et prévoit désormais une croissance économique réelle de 1,8 pour cent en 2026 (+ 0,7 point de pourcentage par rapport à la dernière prévision) et de 2,6 pour cent en 2027 (+ 1,3 point de pourcentage par rapport à la dernière prévision). Le marché boursier a nettement réagi à ces impulsions budgétaires et a enregistré une hausse notable.

L’accord de coalition conclu le mercredi 9 avril 2025 entre la CDU, la CSU et le SPD présente des points positifs, mais aussi des aspects négatifs. Parmi les éléments positifs figurent les allègements fiscaux en faveur des entreprises ainsi que l’extension des possibilités d’amortissement. L’amortissement dégressif des investissements en équipements à hauteur de 30 pour cent entre 2025 et 2027 est particulièrement salué. À partir de 2028, l’impôt sur les sociétés, actuellement fixé à 15 pour cent, devrait être réduit progressivement d’un point de pourcentage en cinq étapes. Ces allègements et d’autres, ainsi que la lutte urgente contre la bureaucratie galopante, pourraient entraîner à long terme un accroissement des investissements en Allemagne. Il est également prévu de réduire la taxe sur l’électricité ainsi que certaines redevances et tarifs de réseau, ce qui représente un soulagement urgent et nécessaire pour les entreprises allemandes à forte consommation d’énergie. Par ailleurs, de légers allègements de l’impôt sur le revenu sont prévus, notamment par l’exonération fiscale des majorations pour heures supplémentaires et par la revalorisation de la déduction forfaitaire kilométrique à partir de 2026. Du côté positif, il convient de constater également que la réintroduction de l’impôt sur la fortune et l’augmentation du prélèvement forfaitaire sur les revenus du capital, toutes deux exigées par le SPD, ne figurent pas dans le programme du gouvernement de coalition. Il faut toutefois s’attendre à ce que le SPD, qui occupera le ministère des Finances dans le nouveau gouvernement, formule au cours de la législature des propositions fiscales plus ambitieuses. Malheureusement, la surtaxe de solidarité devrait être maintenue. La réforme pourtant indispensable du système de retraite, devenue urgente au vu des évolutions démographiques, a été repoussée. En résumé, cet accord de coalition constitue un pas hésitant, mais au moins dans la bonne direction.

Le plan de relance historique ainsi que l’accord de coalition, majoritairement bien accueilli, pourraient donner des impulsions positives à l’économie réelle et au marché des capitaux allemand. En revanche, les remous provoqués par les droits de douane américains sont source d’incertitude, en particulier pour les pays exportateurs. La dépendance de l’Allemagne des consommateurs américains reste toutefois limitée – le libre-échange au sein de l’Union européenne étant bien plus important, et l’on peut espérer que celle-ci se rapproche de plus en plus, compte tenu des risques géopolitiques et de l’affaiblissement de la relation de confiance transatlantique.

1) Sources : Bundesverband deutscher Industrie ; Institut de macroéconomie et de recherche conjoncturelle

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    Jan Viebig
    Chief Investment Officer of ODDO BHF Private Wealth Management & Group co-Chief Investment Officer
    Prof. Dr. Jan Viebig