Retenues à la source sur revenus de valeurs cotées étrangères : harmonisation européenne en vue

Patrimoine
07.13.2023
4 Minutes

La Commission européenne a publié le 19 juin 2023 une proposition de Directive dont l’objectif est de diminuer le fardeau que peut représenter, pour les investisseurs transfrontaliers l’obtention d’un taux réduit de retenue à la source sur les revenus de valeurs mobilières cotées, en harmonisant, en simplifiant et en accélérant les procédures de remboursement. Un projet bienvenu dans un contexte européen où le manque d’harmonisation fiscale et la complexité de règles nationales disparates pénalisent fortement les investissements.

L’Europe fiscale harmonisée, prolongement du marché intérieur intégré et de l’Union Économique et Monétaire, reste un très vaste chantier, pour ne pas dire un mythe. Certes, il existe une politique fiscale européenne, matérialisée par des directives émanant du Conseil de l’Union Européenne (UE) et du Parlement européen, mais elle concerne principalement la fiscalité indirecte (et moins la fiscalité directe) et laisse encore une large part à la souveraineté fiscale des États membres. Les principales dispositions législatives, réglementaires et administratives de ces derniers restent très peu harmonisées, quand elles ne se font pas directement concurrence. 

Les épargnants que vous êtes ont certainement eu l’occasion, peut-être d’ailleurs sans en avoir nécessairement connaissance, de subir ce défaut d’harmonisation fiscale conduisant, dans une situation transfrontalière, à des formalités administratives complexes (car non harmonisées), à l’issue parfois incertaine et pouvant aboutir à une imposition tronquée. C’est typiquement le cas des revenus de valeurs mobilières étrangères cotées – en particulier les dividendes – perçus sur un portefeuille titres.

Ces dividendes sont imposés en France au titre de l’impôt sur le revenu mais, dans la grande majorité des cas, subissent aussi au moment de leur versement, une imposition à la source dans l’État du siège de la société débitrice. Afin d’éviter une double imposition du même revenu dans deux États différents, la plupart des États ont conclu des conventions fiscales qui, si elles posent le principe d’une retenue d’impôt dans le pays de sa source, en limitent généralement le taux (15% dans la plupart des conventions). Ces conventions prévoient souvent, dès lors que ce taux réduit ne peut s’appliquer lors du paiement du dividende, une « compensation » a posteriori sous forme d’un crédit d’impôt. 

La réalité pratique est que chaque pays suit ses propres règles en matière de retenue à la source. Dans ce contexte disparate, il arrive que les investisseurs, personnes physiques ou entreprises, soient contraints d’introduire une réclamation à l’étranger pour tenter d’obtenir le remboursement d’une retenue qui a été indûment réalisée.

Mais ce remboursement se fait au prix d’une procédure complexe et longue produisant des effets bien souvent dommageables :

– Elle peut décourager les investissements transfrontaliers et donc la détention de valeurs mobilières étrangères dans un portefeuille. Une étude a montré que près de 30 % des petits investisseurs ont vendu leur portefeuille européen à cause de cet obstacle fiscal. 

– Elle peut s’avérer coûteuse, pour le bénéficiaire effectif comme pour les parties prenantes à cette procédure. Il ressort d’une autre étude que près de 70 % des petits investisseurs qui pourraient bénéficier d’un taux de retenue à la source réduit ne le demandent pas. Et pour cause : ces procédures sont non standardisées et non dématérialisées. Elles nécessitent le recours à de nombreux formulaires papier complexes et divergents entre les pays ; pas étonnant qu’elles puissent induire une certaine phobie administrative… toute légitime celle-ci.

– Elle augmente le risque de fraude et d’évasion fiscale (surtout de la part des entreprises).

Ces effets pernicieux ont été chiffrés en 2016 : le montant global des remboursements auxquels les investisseurs (particuliers et entreprises) ont renoncé, des coûts des procédures de remboursement et des coûts d’opportunité a été estimé à environ 8,4 milliards d’euros.

Cette problématique des retenues à la source a donc été depuis longtemps dénoncée par les différents acteurs concernés au niveau européen. Ils ont été enfin entendus car la Commission Européenne qui a publié le 19 juin 2023 un projet de Directive afin de définir une procédure commune et normalisée au sein de l’Union Européenne pour les remboursements de retenues à la source pour tous les États membres. 

Cette normalisation des procédures de retenue à la source se ferait selon deux mécanismes (qui pourront se cumuler) :

– Un « allégement à la source » : le taux réduit pourrait être directement appliqué lors du versement du dividende. Autrement dit, les investisseurs payeraient dès le départ le montant correct de la retenue à la source.

– Un « système de remboursement rapide » accessible à tous les investisseurs : l’administration fiscale concernée aurait pour obligation de rembourser la différence entre taux normal et le taux réduit prévu par la convention fiscale dans les cinquante jours suivant le versement du dividende. Un délai de remboursement raccourci qui inciterait davantage les investisseurs à réclamer l’argent qui leur est dû.

Les gouvernements de l’UE pourraient choisir le système qu’ils souhaitent appliquer.

Sans entrer dans le détail technique des changements proposés, relevons que cette réforme et cette modernisation des procédures de remboursement de retenues à la source impliquera :

– La mise en place de procédures harmonisées et dématérialisées.
– La définition du concept de bénéficiaire effectif.
– La mise en place d’un système d’exonérations et de déductions à la source à l’échelle de l’UE.
– Le renforcement du cadre existant en matière de coopération administrative.
– La lutte contre les pratiques fiscales abusives.

La proposition de Directive devra maintenant être soumise au Comité économique et social européen et au Parlement européen pour avis. Il appartiendra ensuite au Conseil de l’UE de statuer sur cette proposition. Une fois la Directive adoptée, les Etats membres devront la transposer dans leurs droits internes au plus tard le 31 décembre 2026 pour une application à compter du 1er janvier 2027. 

La Commission estime que la procédure de remboursement refondue, simplifiée et accélérée permettrait d’économiser 5,17 milliards d’euros par an grâce aux procédures accélérées. Et de prophétiser que ces changements encourageront davantage d’investisseurs extérieurs à l’UE à détenir des titres européens et qu’ils stimuleront le marché des capitaux, grâce à des échanges d’actions et d’obligations accrus au sein de l’UE, stimulation nécessaire pour financer la transition de l’Union vers les sources d’énergie renouvelables.

Ce projet, dont l’objet doit être salué, manque peut-être d’ambition. N’aurait-il pas été plus simple encore et plus légitime de supprimer purement et simplement les retenues à la source au sein de l’UE qui constituent une restriction aux libertés fondamentales prévues par les traités européens ? Ou encore de décider la mise en place obligatoire d’un crédit d’impôt total dans le pays de résidence ?

Puissent néanmoins ces louables aspirations économiques et écologiques encourager notre exécutif et notre législateur européen à voir plus grand en matière d’harmonisation fiscale. Tout comme pour la transition écologique, il est hélas à craindre que le chemin soit encore long…

David Tavernier 

Ingénieur Patrimonial
ODDO BHF Banque Privée
Rédigé le 13 juillet 2023

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